ESG, RSE et Développement durable : comment naviguer dans la jungle des acronymes sans perdre le nord (ni votre impact) ?
- Marie Horodecki Aymes
- 14 avr.
- 7 min de lecture

Dans l’environnement économique actuel, des termes tels que la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), l’Environnement, le Social et la Gouvernance (ESG), et le Développement durable sont souvent utilisés de manière interchangeable. Cette confusion crée des difficultés à la fois pour les entreprises qui cherchent à communiquer efficacement sur leurs initiatives et pour les parties prenantes qui tentent de comprendre les engagements des entreprises.
Cet article vise à clarifier ces trois concepts clés, à retracer leur évolution historique et à fournir des conseils sur la bonne manière d’employer chaque terminologie en fonction du contexte, notamment en tenant compte de la politisation récente de certains termes.
L’évolution du vocabulaire de la responsabilité d’entreprise
RSE : l’approche traditionnelle
La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est apparue dans les années 1950, et l’ouvrage Social Responsibilities of the Businessman de Howard Bowen est souvent considéré comme le texte fondateur qui a formalisé ce concept (Carroll, 1999). La RSE incarne l’idée que les entreprises ont des obligations envers la société qui vont au-delà de la simple réalisation de profits.
Pendant des décennies, la RSE a couvert plusieurs dimensions, notamment la responsabilité environnementale, le bien-être social, les pratiques commerciales éthiques et l’engagement communautaire. Comme le soulignent Crane et Matten (2016) dans leur ouvrage de référence Business Ethics, la RSE fonctionnait historiquement comme un service à part, souvent rattaché à la communication ou aux affaires publiques, plutôt qu’à la stratégie globale de l’entreprise.
La notion de matérialité — identifier les enjeux les plus importants pour les parties prenantes — était déjà présente, bien qu’elle fût moins formalisée que dans les cadres ultérieurs. Selon l’article influent de Porter et Kramer (2006) dans la Harvard Business Review, les initiatives de RSE manquaient souvent d’intégration stratégique avec les opérations de l’entreprise, limitant leur efficacité et leur durabilité.
Développement durable : la vision systémique
Alors que la RSE mettait l’accent sur la responsabilité des entreprises, le concept de développement durable a émergé des sciences de l’environnement, notamment avec la célèbre définition de la Commission Brundtland (1987) : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».
Contrairement à la perspective centrée sur l’entreprise de la RSE, le développement durable est basé sur une approche systémique. Comme l’explique John Elkington (1997), qui a introduit le concept de la « triple performance » (triple bottom line), le développement durable représente une refonte fondamentale du rôle de l’entreprise au sein des écosystèmes écologiques et sociaux.
Les recherches de la Sustainability Initiative du MIT Sloan montrent que les entreprises qui adoptent le développement durable intègrent généralement ces considérations dans leur stratégie de base, au lieu de les considérer comme des initiatives accessoires (Whelan & Fink, 2016).
ESG : la perspective de l’investissement
La notion d’ESG est apparue dans les années 2000, figurant en bonne place dans le rapport Who Cares Wins (2004) des Nations Unies, qui a posé les bases des Principes pour l’Investissement Responsable (PRI). L’ESG a été conçu spécifiquement comme un cadre d’analyse pour les investisseurs, mettant l’accent sur les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance considérés comme financièrement significatifs.
D’après des recherches du Centre for Sustainable Business de la NYU Stern, l’ESG s’appuie sur une approche plus rigoureuse et orientée vers des indicateurs, aidant les investisseurs à évaluer les risques et les opportunités qui ne sont pas pris en compte par l’analyse financière traditionnelle (Serafeim, 2020). Le cadre ESG a également formalisé l’évaluation de la matérialité, grâce à des organisations telles que la Sustainability Accounting Standards Board (SASB), qui a établi des normes sectorielles spécifiques aux enjeux matériels.
Distinguer les concepts
Bien que ces termes se recoupent, ils représentent des approches distinctes :
RSE met l’accent sur l’éthique et la responsabilité de l’entreprise à travers des programmes et des initiatives spécifiques. Comme le mentionnent Porter et Kramer, la RSE peut souvent prendre la forme « d’un ensemble disparate d’activités non coordonnées, déconnectées de la stratégie de l’entreprise », qui n’ont ni un impact réel sur la société ni une influence durable sur la compétitivité à long terme de l’entreprise.
Le développement durable se concentre sur la viabilité à long terme de l’entreprise au sein des systèmes écologiques et sociaux. Les travaux d’Eccles et Klimenko (Harvard Business Review, 2019) montrent que les modèles économiques véritablement durables exigent des changements opérationnels fondamentaux, et non de simples initiatives isolées.
L’ESG offre un cadre de reporting et d’évaluation conçu essentiellement pour les investisseurs. Selon une enquête mondiale de McKinsey sur la durabilité (2020), les entreprises affichant de solides performances ESG surpassent statistiquement leurs concurrentes, démontrant la pertinence financière de ces facteurs.
La politisation de la terminologie
Ces dernières années, on a observé une politisation de certains termes, en particulier l’ESG. Comme l’indique l’ESG Executive Survey de Deloitte (2023), cette tendance a conduit de nombreuses entreprises à ajuster leur communication tout en maintenant leurs engagements concrets.
Le rejet de l’ESG a des racines complexes, analysées par des chercheurs de la Smith School of Enterprise and the Environment de l’Université d’Oxford. Certains reprochent notamment aux institutions financières d’aller trop loin, tandis que d’autres critiques s’inscrivent dans une polarisation politique plus large (Caldecott, 2022).
Conseils pour une communication stratégique
Pour communiquer efficacement sur les initiatives de responsabilité d’entreprise, il convient de :
Connaître son audience
Différentes parties prenantes réagissent différemment à la terminologie. Une étude de Boston Consulting Group montre, par exemple, que les investisseurs préfèrent généralement le langage ESG, alors que les employés sont plus sensibles à une mission fondée sur la raison d’être, et que les clients s’intéressent avant tout à l’impact concret (BCG, 2022).
Privilégier la spécificité
Plutôt que d’employer des étiquettes trop larges, il vaut mieux communiquer sur des engagements et des résultats précis. Les recherches du MIT montrent que des revendications spécifiques suscitent plus de confiance que les déclarations générales visant à être « durable » ou « responsable » (Hoffman, 2021).
Aligner le langage sur la stratégie
Si vos initiatives sont majoritairement philanthropiques, la RSE peut convenir. Si vous travaillez à des changements structurels dans votre modèle économique, le terme « développement durable » sera plus juste. Pour la communication à destination des investisseurs, les cadres ESG restent pertinents malgré les vents contraires politiques.
Préserver une certaine neutralité
Des termes comme « entreprise responsable », « valeur à long terme » ou « résilience » font souvent consensus, quels que soient les clivages politiques. D’après les recherches du Forum Économique Mondial, un langage centré sur les résultats concrets permet en général d’éviter les écueils politiques (WEF, 2022).
Le nouveau concept émergent : l’impact
Après avoir clarifié les distinctions entre RSE, développement durable et ESG, il est important de souligner un terme plus récent qui gagne en popularité dans le champ de la responsabilité d’entreprise : l’impact.
Le terme « impact » est de plus en plus utilisé pour décrire un cadre qui se concentre sur des résultats mesurables plutôt que sur des processus ou sur la conformité. D’après la définition du Global Impact Investing Network, l’impact désigne des « investissements effectués avec l’intention de générer un impact social et environnemental positif et mesurable, en parallèle d’un rendement financier ».
Selon les travaux de l’Impact Management Project, le recours au terme « impact » déplace le discours de la « réduction des risques » vers la « création de valeur », un changement subtil mais important qui séduit au-delà des clivages politiques (Impact Management Project, 2018).
Ce qui différencie « impact » des termes antérieurs, c’est la priorité donnée aux retombées mesurables et aux contributions positives. Les recherches menées par le Forum Économique Mondial sur le capitalisme des parties prenantes (2020) montrent que le langage de l’impact résonne auprès d’un public plus large que les terminologies spécialisées de l’ESG ou de la RSE.
Alors que les entreprises naviguent dans un environnement de plus en plus politisé autour de la responsabilité d’entreprise, l’accent mis sur l’« impact » offre une voie potentielle qui met en avant les résultats concrets plutôt que les cadres, séduisant ainsi une diversité d’acteurs.
Les concepts de RSE, de développement durable, d’ESG et désormais d’impact représentent différentes approches pour comprendre le lien entre l’entreprise et la société. Il ne s’agit pas d’une évolution linéaire où chaque terme remplacerait le précédent : ces concepts se sont développés en parallèle, avec des objectifs qui se recoupent mais qui demeurent distincts.
En comprenant ces différences, les entreprises peuvent mieux communiquer et se repérer dans un contexte de plus en plus complexe. Plutôt que d’abandonner leurs cadres de référence sous la pression politique, elles ont intérêt à miser sur la clarté, la précision et la focalisation sur les résultats, en utilisant les bons termes dans les bons contextes tout en maintenant de véritables engagements en matière de pratiques responsables.
Références
Carroll, A. B. (1999). Corporate social responsibility: Evolution of a definitional construct. Business & Society, 38(3), 268-295.
Crane, A., & Matten, D. (2016). Business ethics: Managing corporate citizenship and sustainability in the age of globalization. Oxford University Press.
Elkington, J. (1997). Cannibals with forks: The triple bottom line of 21st century business. Capstone.
Porter, M. E., & Kramer, M. R. (2006). Strategy and society: The link between competitive advantage and corporate social responsibility. Harvard Business Review, 84(12), 78-92.
Whelan, T., & Fink, C. (2016). The comprehensive business case for sustainability. Harvard Business Review, 21, 2016.
United Nations Global Compact. (2004). Who Cares Wins: Connecting financial markets to a changing world.
Serafeim, G. (2020). Social-impact efforts that create real value. Harvard Business Review, 98(5), 38-48.
Impact Management Project. (2018). A guide to classifying the impact of an investment.
Eccles, R. G., & Klimenko, S. (2019). The investor revolution. Harvard Business Review, 97(3), 106-116.
McKinsey & Company. (2020). The ESG premium: New perspectives on value and performance.
World Economic Forum. (2020). Measuring Stakeholder Capitalism: Towards Common Metrics and Consistent Reporting of Sustainable Value Creation.
Deloitte. (2023). ESG Executive Survey: Navigating the evolving ESG landscape.
Caldecott, B. (2022). The anti-ESG backlash and its implications. Oxford Sustainable Finance Group, Smith School of Enterprise and the Environment.
Boston Consulting Group. (2022). The ESG communications divide: Effective stakeholder messaging.
Hoffman, A. J. (2021). Business, society, and the environment in the age of sustainability. Business & Society, 60(1), 7-29.
World Economic Forum. (2022). Stakeholder Capitalism Metrics Initiative: 2022 Progress Report.
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